Je
pense qu'il est important dans le cadre d'une transition de continuer à
vivre le plus normalement possible. La transition est une partie de la
vie, non un but dans la vie.
Pour
ma part, je m'efforce de continuer de faire vivre mes passions, la
musique, l'écriture et d'essayer de ne pas me focaliser sur la
transition. forcément. Car si j'oriente toutes mes pensées vers la
transition, je me place en équilibre au bord d'un gouffre sans fond. Je
préfère me voiler la face et ne pas penser au désespoir de ne jamais
être cisgenre, normal, entier. Je ne suis pas dans la norme, déjà, par
tout ce que je suis et ne suis pas, ma personnalité, mes goputs, je
n'entre pas dans le cadre.
Fuir la peur d'être déçu du résultat, garder patience face à la lenteur du changement.
Mon
premier défi est d'essayer de m'alimenter correctement. J'ai depuis
longtemps un trouble alimentaire de type boulimie/anorexie. En ce
moment, c'est le deuxième aspect qui prime. La faim ne se rappelle à moi
que lorsque je suis au bord de tomber dans les pommes. Là, je dois me
forcer à ingérer de la nourriture, ce qui immanquablement me donnera une
forte envie de vomir. Serrer les dents, au sens propre du terme, pour
assimiler quelques nutriments afin de ne pas finir anémique. C'est
vraiment difficile. La bouffe devient un médicament.
Heureusement,
une fois de plus, que mon compagnon est là sinon je crois que je ne
m'alimenterai pas. Mon corps me dégoûte de plus en plus à mesure que
j'avance dans la transition, ces courbes féminines, ce gras féminin bien
écœurant, la peur de manger pour enrichir ce gras, cette mollesse.
J'essaie de faire de la muscu, je me défonce le dos, les genoux, mais le
tout est de bruler ce que je ne peux voir. Sans énergie alimentaire,
c'est quasiment impossible. Je le sais pertinemment mais je n'arrive pas
à manger comme je le devrais. Je perds du poids, à nouveau. Ma peau
perd de sa qualité, mes cheveux également, mais je gruge par divers
artifices cosmétiques pour que cela ne se voit pas. Faut-il que je perde
mes dents pour prendre conscience que je me tue à petit feu ?
Ce
qu'il y a de partir avec ce trouble, c'est qu'il est contrebalancé par
les phases boulimiques sans vomissement. Là, je prends du poids, de
l'avance sur ce que je perdrais quand je serai en phase anorexique.
Personne ne voit rien, je n'entre pas dans l'archétype du squelette
ambulant.
Ce
trouble est l'un de mes plus grands tabous, mais j'ai décidé qu'il
deviendrait ma vraie lutte, mon véritable but. On ne guérit jamais, mais
on peut le gérer. Sans doute en me réappropriant mon corps. Ne plus
percevoir la bouffe comme un médicament, mais cette transition qui va
faire de moi ce que je suis vraiment. Je sais que je peux y arriver.
J'ai assez de recul pour cela. J'ai l'habitude de la douleur dans ce
corps défaillant aux articulations malades. Si je surmonte ce trouble
alors j'aurai remporté la première victoire sur moi, avant même la
mutation vers mon état d'homme.
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